Synopsis
C’est un film impossible sur l’absence, le deuil, la mémoire.
Un jeune homme aux cheveux de feu meurt d’un mal mystérieux un jour d’automne. Il meurt si jeune. Depuis ce jour, son frère aîné se tait, obstiné. Un matin, il quitte sa famille détruite, la demeure de l’enfance au bord du fleuve.
Il vit seul dans une haute maison à la lisière de la forêt, le temps s’efface nuit et jour. Parfois un ange le veille en silence. Inconsolé, sans larmes, sans voix, des mois. Il attend, n’attend rien. Il n’y a plus que lui et cette maison isolée, si grande, si vide, peuplée de rêves, du chant des oiseaux, du bruissement des arbres.
Il dort. Il rêve. Il se souvient. Il s’ouvre à ce temps suspendu, à cette haute solitude. Il marche dans la montagne, vers les sanctuaires oubliés de son enfance… Un jour lointain, il a vécu là.
Lent cheminement, de la déploration à la célébration, en traversant sa propre mort.
Ce film est un rêve sorti de je ne sais quelles ruines de mémoire.
Un chantier de cinq années. A tous niveaux, fruit de rencontres avec des hommes, des lieux, des techniques, des hasards, des silences, avec les mots si rares de Gustave Roud… ce film est un geste, un fragment de vie et de rêves.
« Fragments d’exil ». Quel exil ? Quels exils ? Ce n’est pas simplement quitter le roman familial, ce avec quoi rompt le jeune homme sans nom, figure centrale du récit, c’est s’exiler, radicalement, de la vie cadrée, bordée d’ennui, de petites morts, de minables renoncements qui sont notre quotidien.
C’est vivre seul, dormir, laisser apparaître d’improbables figures tutélaires ; c’est marcher dans la montagne vers des vestiges de sanctuaires oubliés eux aussi.
Dans cet exil intérieur, il allume, pour toute gloire, des frêles bougies, sanctuaires dérisoires et sublimes, voies d’accès à une sainteté sans nom ; c’est vivre jusque dans la mort, et rêver encore, loin, si loin du jeu social.
Il ne veut rien sauver, rien, ni la société, ni sa famille, ni la planète, ni lui même ; il ne veut plus rien, à jamais seul, il est le monde, la respiration du monde, de la montagne au pied de laquelle se dresse son improbable demeure de pierre et d’air.
Ces fragments d’exil sont un rébus à déchiffrer qui attendent l’autre, sa présence, son regard.
Emmanuel Ostrovski
« Où es-tu ? » C’est par cette question, si simple, si quotidienne, que commence un voyage au bout de la nuit d’un homme, de tout homme. Au départ, la perte d’un frère, un trou au cœur de l’existence, un abîme insurmontable. Puis un deuil infini qui se transforme en une quête de sens, une immobilité qui est pourtant la condition de toute action possible.
Ce voyage trouve son point culminant dans un repas où chaque petit geste du protagoniste est ralenti et presque suspendu tout en accentuant sa matérialité et sa signification. Ce n’est que sur ce fond que peut arriver le miracle, à savoir le retour du frère disparu. Or ce n’est pas le frère lui-même qui revient, mais son fantôme, sa figure qui à la fois anticipe et reproduit un processus de figuration. Aussi peut-on peut-être commencer enfin à répondre à la question « où es-tu ? ».
« Je suis une figure, » dit le frère, et par là même, le protagoniste comprend ce qu’il était en train de vivre : une quête de sa propre figure qui ne se trouve nulle part, une figure qui ne peut se réaliser complètement que par la mort et par la résurrection.
Cette mort et cette résurrection ne sont pas la fin du chemin, mais plutôt son point focal, autour duquel la vie entière du protagoniste se tourne, sans pouvoir s’arrêter jamais.
Eran Dorfman et Shaul Setter
« Où es-tu ? » Ce film tout entier se lève et se déploie à partir de cette question. Adressée à qui, à quoi ? Le « lieu » où elle se prolonge est difficile à identifier.
L’homme, qui s’avance vers nous et nous interroge, semble égaré dans le temps. Il appelle, au-delà de la chambre où il se tient, au-delà de ses années. Il est entré dans un temps ouvert, dans ce « lieu » qui nie séparations et frontières entre vie et mort, rêve et réalité, veille et sommeil, nuit et jour…
Il se tait, il retrouve de rares paroles qui lui sont comme dictées. Il retrouve en lui d’autres espaces ; s’ouvrent en lui des brèches, des trouées vers l’inconnu qu’il porte en lui.
Une autre réalité, une autre durée, d’autres gestes s’imposent. Il invente des dispositifs fragiles, qui sont autant de sanctuaires improvisés pour se recueillir, pour ne pas devenir fou, ne pas être écrasé par la fiction familiale, le deuil de son petit frère mort, pour accepter et vivre activement mutisme, état d’apoplexie, saisies intérieures, visions prémonitoires, mélancolie, illuminations et ravissements, apparitions réelles ou rêvées.
C’est le deuil de lui-même, où il arrache à la racine la fausse vie mauvaise qui le rongeait. Il accepte de n’être rien aux yeux des autres hommes. Il s’enfonce dans un temps immobile, sans événement apparent, dans une haute maison désertée et seule comme lui, « navire perdu » au pied de la montagne. Dans ses chambres qui résonnent de la nature environnante. On le voit traversé d’éclats de souvenirs où sa mémoire s’effondre, il rêve, il se retire du monde trop appris de ceux qui se croient vivants – il est à-côté, et seules deux présences le veillent ou l’accompagnent. Jusqu’à s’exiler encore, autrement. Jusqu’au jour où surgit une parole, source neuve qui oriente ce qui s’était perdu.
Joseph Rottner
Réalisateurs Emmanuel Ostrovski et Joseph Rottner / Musique originale Mathieu Bonilla / Image : Laurent Navarri / Preneur de son Xavier Sirven / Montage Joseph Rottner et Emmanuel Ostrovski / Montage son Raphaël Mouterde / Mixage Samuel Aïchoun / Étalonnage Joseph Rottner, Laurent Navarri (La Ruche Studio)
Acteurs Joseph Rottner, Marc Lanceau, Baptiste Debicki, Elisabeth Claverie, Guillaume Costa